Extrait du Bulletin paroissial de Blevaincourt
et de Rozières. Décembre 1922.
"Elle eut lieu le dimanche 29 octobre. Dès 10 heures,
notre église est remplie M. le Maire et le conseil municipal
au complet occupent les premiers bancs. Les soldats démobilisés
de la grande guerre sont tous présents, heureux d'unir
leurs prières à celles du prêtre pour leurs
chers camarades. L'église est superbement décorée
: oriflammes et drapeaux se déploient au-dessus du catafalque
drapé lui aussi des trois couleurs ; gerbes de verdure
et de fleurs à profusion ornent toutes les fenêtres.
Rien n'a été épargné pour honorer
ceux qui ont fait à la patrie le sacrifice de leur vie.
Nous l'avons compris surtout
à l'audition des chants. Ils ont été d'une
beauté impressionnante. C'est pendant l'offertoire :
Ceux qui sont morts pour la patrie, dont la musique, d'abord
lente et plaintive comme une prière, s'élève
ensuite majestueuse pour célébrer la récompense
éternelle de nos martyrs. Après l'élévation
: un De profundis en faux-bourdon, supplication ardente vers
Dieu du pardon. Après la communion : un Souvenez-vous,
prière filiale à Marie, lui disait de prendre
sous sa garde les mères, les épouses, les orphelins
en deuil, et nos grands blessés. Ce qu'il a fallu de
dévouement pour la préparation et l'exécution
de ces chants, nous l'avons compris aussi ! C'est pourquoi,
au nom de tous, j'en exprime ma reconnaissance aux exécutants.
***
Dehors la pluie tombe en rafale. Pourrons-nous faire l'inauguration
du monument? La question ne se pose même pas. Un soldat
dit près de moi : Nous en avons vu bien d'autres. La
foule, malgré la pluie, se trouve déjà
devant le monument. Celui-ci s'élève svelte et
gracieux ; son piédestal est couvert de verdure et de
fleurs. Au centre, une grande couronne de feuillage naturel,
cravatée d'un large ruban tricolore et due aux mains
expérimentées d'une artiste. Un peu plus haut
deux autres couronnes offertes par deux familles et la paroisse
dont les enfants sont morts au champ d'honneur. Le tout délicatement
disposé par ceux qui ont donné leurs fils et leurs
frères à la patrie. Au milieu d'un silence religieux,
je bénis le monument marqué du signe de la croix
et qui symbolise la tombe de nos soldats. M. Plyant, adjoint,
prend aussitôt la parole pour remercier en termes délicats
les personnalités présentes et la population de
Blevaincourt. Puis M. Adamistre, maire, fait l'appel émouvant
des soldats dont les noms sont gravés en lettres d'or
sur le marbre du monument. Je comprends l'émotion de
M. Adamistre obligé de faire l'appel de son fils : cette
émotion, j'aime à lui dire, a été
partagée par toute l'assistance. M. Henri Husson, conseiller
municipal, dans une causerie d'un haut intérêt
qui voisine l'éloquence par l'émotion créée,
cite nos morts en donnant sur chacun d'eux particulièrement
sur Léon Emerot et Georges Martin qui étaient
de son régiment des détails personnels qui font
une grande impression ; Puis en quelques mots d'un beau spiritualisme,
inspiré par sa foi, il nous dit sa joie de voir la croix
sur notre monument comme elle l'est sur toutes les tombes des
cimetières du front. Trois enfants de l'école,
Marie Lallemand, Roger Emerot, Georges Chaudot dirent leur reconnaissance
et celle de la France à nos morts glorieux. M. Gaillot,
instituteur, retrace, lui aussi avec émotion le dévouement
et l'héroïsme. Ce soldat, grièvement blessé,
ne voulut pas se faire évacuer et retourna à la
bataille. C'est un acte d'un rare courage, et il a été
donné par un enfant de Blevaincourt. M. le Colonel Ferry,
conseiller d'arrondissement, et M. Renaud, conseiller général,
parlent de l'union que nous devons pratiquer dans la paix comme
nous l'avons pratiquée dans la guerre. Sous la pluie
qui ne cesse pas, la foule écoute tous ces discours qui
magnifient l'héroïsme de nos chers morts.
***
La cérémonie est finie. Mais le monument demeure.
Il s'élève à l'ombre du clocher, dans l'ancien
cimetière, sur les ossements des ancêtres. Nous
pouvons nous arrêter pour y prier à l'aise, comme
devant une tombe." Votre Curé J. Gérard