Le patois
Lexique du patois de chez nous
 
Accrepiote : accroupi
Aisement : tous ustensiles pour contenir
Amusotte : petite histoire
Bassoter ou Bassotter : bricoler, passer
le temps
Beulou : demeuré, taré
Brayer : écraser
Breseuiller : farfouiller
Brûlot : eau de vie sucrée enflammée
Caillon : maison en désordre
Calendre : averse
Canvolants : gens du voyage
Carne : sale type désagréable
Chanatte : chéneau
Charpagne : panier allongé à 2 poignées
Chaurée : bouffée de chaleur
Chigner, chounier ou Chouiner: pleurer
CoEmpaturer : se prendre les jambes dans les fils ou les ronces
rnet : sac en plastique

Enroter : s'enliser dans la boue
Fneuiller : tout retourner
Gargueillotte : pomme d'Adam
Goye : vieux chiffon ou vêtement
Goyotte : bourse, économie
Jointée : contenu de 2 mains réunies
Ligneux : liseron
Mannequin : panier rond avec 2 poignées
Margolote (se casser la) : se casser la gueule
Passotte : passoire
Peut : vilain, laid
Poutou : baiser
Raousse : rossée, volée
Rapseuder : raccommoder grossièrement
Raquignoter : récupérer en supplément
Ratirote : parfum
Ravisote : se remettre en mémoire
Schloff : lit

 

Histoire en patois ( A. MAROT, Patois du Bassigny lorrain) .
Traduction a la suite.

LES NÉVETS DE JEAN THIÉBAUT

Qu’ost-ce qu’y é de pus bé qu’in bé champ de névets ?
ln vi proverbe lorrain dit qu’y é rin de pus bè qu’in bin métin de vindange.

Le champ de nèvets de Jean Thièbaut otôt co pus bé. L’ennée-lé évôt ollé é souhait pou lé timpèrature : dou bé soulo terto le temps, et chèque semaine éne petiote sinsse de peûje. Si bin que Jean Thiébaut se mirôt dins ses névets. Pas d’éprés-meilledi, repport aux mèraudoux, qu’i n’olleusse rouâtai brâment sé queulture. On é dit qu’i renombrôt ses têtes de légumes terto les dû joû. E chè-que dozaine i féjôt éne marque su s’bâton évou se châtrebique pou pas se trompai.

Quement évouéye dé bé nevéts et pas évouéye des jéloux ? Jean Thiébaut sévôt bin qu’y évot des gensses que ses névets féjint crevai de jélousie dins loù pé. Mâ i ne s’en teurmintôt guâre, redressant seulemot lé tête d’in air téméraire quand i pessôt devant chi les gensses-lé.

Mâ le lundi de lé fête qui otôt don lé San-Remeil, Jean Thiébaut, que s’otôt tot pien émusai évou les quilles, les rouès de cœur et les vélets de pique, in poû grevai d’évouèye trop podiu, s’en ollôt, pou consolation, rouâtai si terto les névets y étint co.

Qué rébaubissemot ! Qué colère ! Y in évôt bin trôche dozaines que minquint. I redégringole le grippot qui menôt é se champ. L’étouffôt de colère quement in dindon quand on li dit pou le fâre rebecquai : « pu rouche que ti ! pu rouche que ti ! » Et i se redressôt tot rebecquâ en pessant devant che lé mère Lé Guitte qu’otôt su le pas de s’n cuche, quement ène grosse idôle, pou prenre le frais. Jean se doutôt que c’otôt lèye o bin s’n homme qu’évot fât le coup, rèp-port é ce que l’otint pus volou terto les dusses que des mercolottes.
Lè poure fomme in otôt bin ignorante ; c’otôt éne farce des jûnes geos que volint seulemot le fare indêvai.

Comme i trimballôt sous l’orme, le pére Fanfan Lechêne, qui fumôt sé pipe to lé, li dit évou s’n air de bon raillard :
— V’lé Jean Thiébaut qu’é l’air de fumai ène pipe co pu grosse que lé minne.
(Fumai ène pipe, çé vut dire queuquefoûs dins note pays comme qui dirôt : mingeai ses sangs.)

— Séyez in repos, Fanfan ! Je les recolerô, les chéssou de névets. »
I criôt celè é piein guerguillot, pou que lé mère Lé Guitte oyeusse.

Terto les joû, les névets se rinfiint dévintaige, et porléchint les invies gormandes des maraudous.
Quement fâre pou les motte in déroute ? Jean Thiébaut n’évôt qu’in moyen :guédier se champ lé neùye, en ce que les bons chrétiens dormont.
Not’ homme, éprés l’ang’lus, mot su s’dos trôches biaudes, crainte des roma-tisses, décroche d’éprès lé cheminèye in veuil fusil dou temps de lé milice, et qu’évôt p’tête ben vu le siêge de Lé Mothe, et le v’lé prêt. I sort doucement poué lé lucarne de s’ poële, trévoche les jédiins é pas de chéta, et le v’lé que monte le grippot.

I ne voyôt pas quouète ou cinq guéchons que montint d’in aute coûtet.
Lés bés névets ! Se cœur béttôt de douceur en les rouâtant. I se mot dins lé roie dou champ, intortille ses dûs jambes dins in vi sac que l’évot époutié rèpport é lé froidure ; et le v’lé que ne boge pus, riboulant les oeils de terto les coûtéts.
V’lé le reloge dou villaige que seune neuf heures, dix heures, onze heures.
L’évôt doû mau de ne pas dermi ; (c’otôt ène si drôle d’écrègne) ; l’hochôt le minton quand le sommeil volôt veni, et prenôt ène prise.
E lé fin on n’oyôt pu rin, qu’in renâ que chéssôt devé lé Roche-Réguée.
Jean Thiébaut rouâtôt lé leune et les étoiles ; et i reminôt dins s’par-dedans que pour sûr i gn’évôt pas lé-haut des si bés névets que les sînes. Qué bonhou, bintôt, de les fâre queûre évou le quénâ de lé Saint-Nicolas.
V’lé meilleneut que décroche dou tiocher. L’aurô fâ in silence de mosse, tot -imposant, si in couchot de Vandrecoù n’évot pas crié dins le moment : Kirikiki
Le couchot devôt râvai, é moins que ce n’otôt éne volaille de sabbat, quement Jean Thiébaut l’ô toujou pensé dedepu.

Tot d’in coup l’entend in petiot brut dins le bout dou champ. I serrôt se fusil tant qu’é povôt quand l’éperçoit in grand fantôme tot bian que crie évou éne voix de loup-garou :

« Dedepu que je sûs sôti fu de lé terre,
Jémois je n’â veu de péroilles névières ! »

In moument éprés, in aute se love d’in autre coûté :

« Dedepu que je sûs sôti fu de m’ tombeau,
Jémois je n’â veu de péroils néviaux. »

In aute :
« Dedepu que j’â quitté lé boite é cailloux,
Jémois je n’â veu de péroils névioux. »

Et les grands fantômes, pu bians que lé leune, venint de s’coté, docement, do-cement, si bin que Jean Thiébaut sentôt se cœur pu écharbotté que le couchot dou tioché les neuilles de grand vent, quand in v’lé co in aute que se love é l’aute bout en heuchant tant que l’évot de guerguillot :
« E faut penre le Jean Thiébaut,
Et l’motte en terre dins ses naviaux. »

Du coup les sangs dou paure homme ne fejont qu’in toù . Le v’lé que se love, tot virevirai de l’épovante, remue ses dûs jambes (qu’otint in feurmis) quement in diabe, pou les dégaigeai dou sac qui loù tenôt chaud, chamboule, cheùye, se redrosse et fiche le camp tant qu’i put couri, en ce que, dans le pattarou, se fusil lâchôt ses dètonations et jetôt de terto les coutèts les poûres revenants pu ren-vochi que lu.
I féjôt des enjambées de six pieds en dégringolant lé côte, si bin que l’otôt trempai guement éne soupe en errivant é lé ville

« Ovre vite, ovre vite ! mé poure fomme ! qu’i criôt tant qu’i peuvôt en bail-lant des grands cos de pi é l’eûche ; j’à terto le sabbat et Lucifer é mes trousses !

I se mot dins le léye ; lé fiévre le prend, si bin que l‘ô fèllu dous guérissous de secret pou le remotte de lé secousse.
L’en otôt demeurai tot bettu quand, é lé San-Nicolas, en rouâtant les névets dans le grand piat d’étain et le quénâ que négeôt dins lé sauce, le v’lé que dit é terto lé fémille, lé figure aussi claire que si le soulo évôt donnai dessus :

« Pou des bés névets, c’o des bés névets, pisque l’ont fâ envie aux revenants. »

Lé fiauve-lé ô étu contai é me grand-père par se prope grand-père, in joù de Sant-Nicolas qu’i n’évôt reçeu qu’éne verge dins se sébot.


(Patois du Bassigny lorrain.)
Alcide MAROT
à Bourmont


TRADUCTION

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un beau champ de navets ?
Un vieux proverbe lorrain dit qu’il n’y a rien de plus beau qu’un beau matin de vendange…..
Le champ de navets de Jean Thiébaut était encore plus beau. Cette année-là avait marché à souhait pour la température : du beau soleil tout le temps, et chaque semaine une petite tombée de pluie. Si bien que Jean Thiébaut se mirait dans ses navets. Pas d’ après-midi, à cause des maraudeurs, sans qu’il aille regarder longuement sa culture. On a dit qu’il comptait ses têtes de légumes tous les deux jours. A chaque douzaine il faisait une marque sur son bâton avec son cou-teau de poche, pour ne pas se tromper.
Comment avoir de beaux navets et ne pas avoir de jaloux ? Jean Thiébaut savait bien qu’il y avait des gens que ses navets faisaient crever de jalousie dans leur peau. Mais il ne s’en préoccupait guère, redressant seulement la tête d’un air audacieux quand il passait devant chez ces gens-là.
Mais le lundi de la fête, qui était donc la Saint-Remy, Jean Thiébaut, qui s’était beaucoup amusé avec les quilles, les rois de cœur et les valets de pique, un peu triste d’avoir trop perdu, s’en allait, pour se consoler, regarder si tous ses navets y étaient encore.
Quel ahurissement ! Quelle colère ! Il y en avait bien trois douzaines qui manquaient.
Il redescend le raidillon qui menait à son champ. Il étouffait de colère comme un dindon quand on lui dit pour le faire hérisser de colère : « plus rouge que toi ! plus rouge que toi ! » Et il se redressait, tout raide de colère, en passant devant chez la mère Marguerite qui était sur le pas de sa porte, comme une grosse statue, pour prendre le frais. Jean soupçonnait que c’était elle ou son homme qui avait fait le coup, parce que tous les deux étaient plus voleurs que des belettes.
La pauvre femme en était bien ignorante ; c’était seulement une farce de jeunes gens qui voulait le faire enrager.
Comme il allait et venait sous l’orme, le père Fanfan Lechêne, qui fumait sa pipe à cet endroit (tout là), lui dit avec son air de bon railleur :
- Voilà Jean Thiébaut qui parait fumer une pipe encore plus grosse que la mienne.
(Fumer une pipe, cela signifie quelquefois dans notre pays ce qu’on pourrait exprimer ainsi : se manger le sang.)
- Soyez en repos, Fanfan ! Je les rattraperai, les chasseurs de navets.
Il criait cela à plein gosier, pour que la mère Marguerite entendit.
Tous les jours les navets se renflaient davantage et pourléchaient les envies gourmandes des maraudeurs.
Comment faire pour les mettre en déroute ? Jean Thiébaut n’avait qu’un moyen : garder son champ la nuit pendant que les bons chrétiens dorment.
Notre homme, après l’angélus, met sur son dos trois blouses par crainte des rhumatismes,
décroche de la cheminée un vieux fusil du temps de la milice, et qui avait peut-être bien vu le siège de la Mothe, et le voilà prêt. Il sort doucement par la lucarne de son poële, tra- verse les jardins à pas de chat, et le voilà qui gravit le raidillon.
Il ne voyait pas quatre ou cinq garçons qui montaient d’un autre côté.
Les beaux navets ! Son cœur battait de douceur en les regardant. Il se place dans la raie du champ, enveloppe ses deux jambes dans un vieux sac qu’il avait apporté à cause du froid, et le voilà qui ne bouge plus, roulant les yeux de tous côtés.
Voilà l’horloge du village qui sonne neuf heures, dix heures, onze heures. Il avait peine à ne pas dormir (C’était une si drôle de veillée) ; il secouait le menton quand le sommeil était sur le point de le prendre et reniflait une prise de tabac.
A la fin on n’entendait plus rien, sinon un renard qui chassait du côté de la Roche-Raguée
Jean Thiébaut regardait la lune et les étoiles ; et il se disait, réfléchissant en lui-même, que sûrement il n’y avait pas là-haut d’aussi beaux navets que les siens. Quel bonheur, bientôt, de les faire cuire avec le canard de la Saint-Nicolas !
Voilà minuit qui décroche du clocher. C’aurait été un silence de messe tout imposant, si un coq de Vaudrecourt n’avait crié en ce moment : kirikiki !
Ce coq devait rêver, à moins que ce ne fût un volatile de sabbat, comme Jean Thiébaut le pensa toujours depuis.

Tout d’un coup il entend un petit bruit au bout du champ. Il serrait son fusil de toute sa force quand il aperçoit un grand fantôme tout blanc qui crie avec une voix de loup-garou :

« Depuis que je suis sorti de la terre,
Jamais je n’ai vu de pareilles navières. »

Un moment après, un autre se lève d’un autre côté :

« Depuis que je suis sorti de mon tombeau,
Jamais je n’ai vu de pareils naviaux. »
Un autre :
« Depuis que j’ai quitté la boîte à cailloux,
Jamais je n’ai vu de pareils navioux. »

Et les grands fantômes, plus blancs que la lune, venaient vers lui doucement, doucement, si bien que Jean Thiébaut sentait son cœur, plus agité que le coq du clocher durant les nuits de grand vent, quand un autre encore se lève à l’autre bout en criant tant qu’il avait de gosier :
« Il faut prendre le Jean Thiébaut,
Et le mettre en terre dans ses naviaux. »

A ce coup, le sang du pauvre homme ne fait qu’un tour. Le voilà, qui se lève tout retourné par l’épouvante, remue ses deux jambes (qui étaient en fourmis), comme un diable pour les dégager du sac qui leur tenait chaud, trébuche, tombe, se redresse et s’élance tant qu’il peut courir, pendant que dans ce remue-ménage, son fusil laissait éclater ses détonations et précipitait dans tous les sens les pauvres revenants plus renversés que lui.
Il faisait des enjambées de six pieds en dégringolant la côte, si bien qu’il était trempé comme une soupe en arrivant au village.
« Ouvre vite, ouvre vite ! ma pauvre femme ! criait-il de toute sa force en jetant de grands coups de pieds à la porte ; j’ai tout le sabbat, et Lucifer à mes trousses. »
Il se met dans son lit ; la fièvre le prend, si bien qu’il fallut deux guérisseurs de secret pour le rétablir de cette secousse.

Il en était resté tout penaud quand, à la Saint-Nicolas, en considérant les navets dans le grand plat d’étain, et le canard qui nageait dans la sauce, le voilà qui dit à toute sa famille, la figure aussi claire que si le soleil avait rayonné dessus :
« Pour de beaux navets, ce sont de beaux navets, puisqu’ils ont fait envie aux revenants. »

Cette histoire a été racontée à mon grand’père par son propre grand’père, un jour de
Saint Nicolas où il n’avait reçu qu’une verge dans son sabot.